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Très cher Jean,

C’est la première lettre que je t’envoies, je regrette vraiment que ce soit pour te dire au revoir.

Je ne serais pas avec tes amis lundi  au Père Lachaise car Geneviève et moi serons en Sicile pour une tournée théâtrale.

Les tournées, tu adorais ça et ces dernières années, que de fois tu les avais évoquées pour nous, le petit groupe, avec lequel depuis dix ans tu partageais le plaisir de la lecture à haute voix.

On s’était rencontré grâce à Lorenzo qui t’avait connu à Lyon où Tu jouais Firs, le vieux domestique de La cerisaie de Tchekhov,  il t’avait recommandé à Chloé qui t’avait choisi pour jouer dans sa mise en scène des « Patients « d’Audiberti. Plus tard,ce sera Brigitte et Jean-Claude pour «  le testament du père Leleu « de Martin du Gard  à la galerie Triartis...

Et c’est ainsi que tu t’étais tout naturellement intégré dans ce groupe très original que nous composons.

Depuis 10 ans de l’appartement d’Inès,  rue de Valence, à la Villa Moderne, chez nous, de la rue Boulard où tu habitais depuis 1945, jusqu’à La cartoucherie à l’épée de bois, et tout particulièrement aux thés  littéraires du Forum 104, tu étais un des maillons de ce réseau. Tu nous régalais de tes récits et jusqu’au bout ta mémoire était exceptionnelle. Tu as servi le théâtre avec passion comme comédien bien sûr mais aussi comme décorateur et metteur en scène. De Copeau à Dasté, des Barrault-Renaud à Vilar puis Wilson au festival d’Avignon, tu étais une mémoire vivante et savoureuse du théâtre mais aussi de la vie en province, tu étais niortais, et de Paris de l’occupation à aujourd’hui. Passionné de littérature, de peinture,  tes collages sont surprenants, et de cinéma, tu continuais à cultiver tes passions comme si le temps ne comptait pas. Au cinéma, tu avais tourné avec Allégret, Becker, Gremillon, et tout récemment Philippe Garrel.

Jusqu’à ces derniers temps tu partais, courageusement faire tes tournages à  la télé pour boucler tes fins de mois. Les amis et amies qui comptaient disparaissaient les uns après les autres et les plus jeunes d’entre nous étaient fiers de te connaître, de t’entendre, de t’apprécier, de te citer ..alors au nom de tous je te salue, cher vieil ami comme si je t’avais toujours connu .toi qui en octobre dernier pour ta dernière lecture de Proust avait rappelé que tu avais été son contemporain pendant deux mois..

Nous te regrettons, nous ne t’oublierons pas.

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Jean-Claude Penchenat